De toutes les mesures vouées à être instaurées par la réforme de l'université, elle est sans conteste la plus décriée. La ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, souhaite promouvoir les cours en langues étrangères (notamment en anglais) dans les universités françaises, faute de quoi, affirme-t-elle, "nous n'attirerons pas les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l'Inde, et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d'une table". Certes, l'enjeu affiché est d'attirer les étudiants étrangers, notamment ceux des pays émergents. Mais tout le monde ne voit pas cette mesure d'un bon oeil. Les défenseurs de la langue française de tout poil sortent leurs griffes et hurlent au scandale : c'est bien le français que l'on assassine. La guerre des langues est bel et bien déclarée.
Les écoles privées déjà lancées
D'un côté, il y a ceux qui approuvent le fameux article 2 du projet de loi d'orientation pour l'enseignement supérieur et la recherche. En tête de leur argumentaire, l'idée que l'on ne peut plus s'ouvrir au monde sans avoir la capacité d'accueillir des étudiants non francophones, et que la compétitivité française de l'enseignement supérieur et de la recherche ne saurait souffrir le découragement des étrangers vis-à-vis de notre langue. Et d'insister sur l'idée que même si leurs études se sont pour partie déroulées en anglais, le simple fait d'avoir étudié en France les incitera plus tard à travailler sur place, ou en partenariat avec ce pays dont il connaîtront les codes et la culture. Plusieurs grandes écoles - privées - ont d'ailleurs déjà opté pour des cours en anglais, prises dans la spirale de la course à la compétitivité et à une reconnaissance mondiale. Et elles en sont fières.
À l'Alliance nationale des sciences humaines et sociales Athéna - qui regroupe notamment le CNRS, la Conférence des présidents d'université (CPU), l'Institut national des études démographiques (Ined) et la Conférence des grandes écoles (CGE) -, on soutient la mesure. Pierre Tapie, directeur général de l'Essec et président de la CGE, a ainsi vanté dans Libération les bienfaits d'une telle mesure : "Contribuer activement à la formation des futures élites mondiales est devenu un enjeu stratégique pour l'influence, intellectuelle, économique, linguistique d'un pays." Et a mis en avant les retombées directes sur l'économie, car, "en formant 500 000 étudiants étrangers supplémentaires, c'est de 8 à 10 milliards d'euros de PIB supplémentaires qui seront générés directement par leur formation et leur vie sur le territoire".
"Marginalisation de notre langue"
Mais ces éléments sont loin de faire l'unanimité. Ceux qui se disent "ardents défenseurs de la langue française" et farouchement opposés à l'article proposé par Geneviève Fioraso sont fermement décidés à faire entendre leur voix. À l'Académie française, bien sûr, on s'inquiète de ce qu'une telle disposition "inaugurerait de véritables franchises linguistiques dans les universités françaises", et on n'hésite pas à évoquer une "menace" pour la situation de la langue française dans l'enseignement supérieur et les "dangers" d'une mesure qui "favorise une marginalisation de notre langue", tant elle est mal délimitée.
Des arguments que n'ont pas manqué de recevoir la ministre et François Hollande, qui ont tous deux tenu à répondre à Hélène Carrère d'Encausse par voie de courrier. Ainsi, le chef de l'État tient à préciser que la "défense" de la langue française "passe par l'attractivité de notre pays, tout particulièrement vis-à-vis des jeunes étrangers". Et de vanter l'idée que développer les échanges entre universités attirera "des étudiants qui ne manqueront pas d'être séduits par notre langue et notre culture". Dans une autre missive adressée à la secrétaire perpétuelle de l'Académie française, la ministre se veut rassurante, insistant sur les dispositions légales et les conditions indispensables qui encadreront un enseignement en langue étrangère, ces "exceptions précises et limitées au principe général selon lequel le français est la langue de l'enseignement dans notre pays".
"Du temps perdu pour la recherche"
Même son de cloche cette semaine, dans Le Point, pour Erik Orsenna et Bernard Pivot : pour le premier, affirmer que la France n'attirera pas les étudiants étrangers sans autoriser les cours en anglais est "totalement hypocrite", et il s'interroge sur les raisons qui pousseraient ces jeunes à venir trouver chez nous "pour un anglais au rabais (car enseigné par des Français qui le parlent mal) au lieu d'aller au MIT, à Yale ou à Harvard". Et de résumer, sens de la formule à l'appui : "Ce n'est pas à la recherche du temps perdu, c'est du temps perdu pour la recherche."
Claude Hagège, professeur au Collège de France, y voit lui aussi "une grave menace pour la francophonie" : "Les 77 États et gouvernements membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) promeuvent le français. L'assouplissement très fort de l'usage du français par cette loi serait un très mauvais exemple, la France devenant ainsi le pays du monde où l'on aimerait le moins le français." Et d'insister sur la "vocation mondiale" de notre langue.
Ultime argument avancé par les "anti" : une telle réforme serait "contraire à la Constitution (qui prévoit en son article 2 que la langue de la République est le français)", comme aime à le rappeler Jacques Attali, qui affirme dans une tribune qu'on "ne peut pas imaginer une idée plus stupide, plus contre-productive, plus dangereuse et plus contraire à l'intérêt de la France". Le projet de loi sera discuté à l'Assemblée nationale à partir du 22 mai : les débats promettent d'être houleux.